Le danger d'une vie basée sur les sensations
Ceux qui font - inconsciemment - de leurs sensations le principe de leur vie s'exposent à de nombreux dangers. Le développement de la sensibilité spirituelle est gêné par la substitution d'une sensation à l'intuition de l'esprit. L'intuition ne peut être active que si l'émotivité est tranquille. Ce n'est qu'alors qu'elle peut communiquer sa pensée au croyant. Et elle se fortifie si elle est fréquemment utilisée. Mais la volonté de celui qui s'appuie sur ses sentiments se trouve aliénée dans sa puissance souveraine. Son intuition est étouffée et ne peut pas s'exprimer clairement. De ce fait, comme la volonté perd ses moyens, le croyant fait encore plus appel à ses sentiments. Si l'émotivité est en hausse, la volonté est active, mais si l'émotivité ne fonctionne plus, la volonté abandonne la partie. Elle ne peut rien faire par elle-même - elle a besoin de l'émotivité pour être mise en mouvement. Entre-temps naturellement la vie spirituelle du croyant baisse de plus en plus, en sorte qu'elle paraît tout à fait éteinte quand les sensations disparaissent.
Cette erreur a pour cause l'influence trompeuse exercée par les sensations. A ses heures d'extase, l'enfant de Dieu sent non seulement l'amour du Seigneur, mais il a intensément conscience de son propre amour pour Lui. Dès lors, la question qui se pose est la suivante : ce croyant aime-t-il vraiment le Seigneur quand il éprouve ce sentiment d'exultation ? Ou bien est-ce ce débordement de joie qu'il aime ? C'est Dieu, bien sûr, qui donne cette joie - mais n'est-ce pas aussi Lui qui l'enlève ? Si notre amour pour Lui est sain, nous devons en manifester la ferveur dans quelque circonstance qu'il nous place. Si notre amour n'existe que lorsqu'il est assorti d'une sensation, peut-être qu'alors ce n'est pas Dieu que nous aimons, mais cette sensation.
En outre, on peut se méprendre sur la nature de cette sensation, en la prenant pour Dieu Lui-même, alors qu'il y a une grande différence entre Dieu et la joie de Dieu. Quand ses sensations se sont tues, c'est alors seulement que le chrétien se rendra compte - le Saint-Esprit le lui fera voir - que ce qu'il recherchait si sérieusement, ce n'était pas Dieu, mais la joie de Dieu. Il n'aimait pas réellement Dieu - ce qu'il aimait, c'était la sensation que lui apportait la joie. La manifestation sensible, c'est vrai, donne le sentiment de l'amour et de la présence de Dieu, mais ce n'est pas Lui seul qu'on aime, on L'aime plutôt parce qu'on se sent rafraîchi, heureux et léger. C'est pour cela qu'on cherche à nouveau la sensation quand elle s'est retirée. Si on aime vraiment Dieu, on touche du doigt cette vérité : "Les grandes eaux ne peuvent éteindre l'amour, et les fleuves ne le submergeraient pas" (Cantique 8:7).
C'est là naturellement une des leçons les plus difficiles à apprendre. Si c'est selon Sa volonté que nous jouissons de Sa félicité, ce bienfait nous sera profitable. Mais nous ne ferons pas de grands progrès spirituels si nous trouvons notre satisfaction dans la joie que Dieu donne, plutôt qu'en Dieu, notre joie. Car ce serait témoigner plus d'estime au don qu'au donateur. Ce serait au surplus une preuve que nous continuons à vivre de notre vie psychique et n'avons pas encore saisi ce qu'est une vraie vie spirituelle. Dieu cherche à détruire toutes les idoles que nous adorons à côté de Lui. Il tient à écarter tout ce qui fait obstacle à notre marche spirituelle. Il entend nous voir vivre en Lui et non pas dans nos sensations.
Un autre danger peut se présenter pour ceux qui vivent par leurs sentiments plutôt que par leur esprit - avec le concours de la volonté. Ils peuvent être séduits par le satan. Il y a là quelque chose qu'il faut absolument savoir. Le satan est habile à contrefaire les sensations qui viennent de Dieu. S'il cherche à créer de la confusion dans la vie de ceux qui marchent vraiment par l'esprit, à combien plus forte raison cherchera-t-il à jouer des tours à ceux qui obéissent à leurs sentiments ! En recherchant les sensations, ils tombent directement sous l'empire du satan, qui sera ravi de leur procurer des sensations de tout genre, qu'ils prendront toutes comme venant de Dieu.
Les phénomènes sensoriels que nous avons décrits font aujourd'hui un mal considérable à la vie spirituelle du peuple de Dieu. Des chrétiens sans nombre sont tombés dans le fossé qui bordait leur chemin. Ils ont totalement ignoré que c'est dans leur esprit que le Saint-Esprit déploie son activité. Ce qui produit une sensation dans le corps vient du mauvais esprit neuf fois sur dix. Pourquoi ce piège cause-t-il tant de dommages dans l'Église ? Parce qu'au lieu de vivre dans l'esprit, on aime vivre dans les sentiments. Il faut résister à toutes les sensations corporelles, et n'ajouter foi à aucune impression d'ordre physique. La seule direction sûre nous vient de l'intuition, dans les profondeurs de notre être.
Une observation attentive de la vie émotive du chrétien peut mettre à nu son principe sous-jacent, qui n'est autre que "la satisfaction du moi". Pourquoi le sentiment de joie est-il si recherché ? Pour satisfaire le moi. Pourquoi la stérilité est-elle si abhorrée ? Parce qu'il faut sauver le moi. Pourquoi recherche-t-on des sensations physiques ? Pour le moi. Pourquoi soupire-t-on après des manifestations surnaturelles ? Pour la satisfaction du moi.
Oh ! Que le Saint-Esprit nous ouvre les yeux sur ce qu'il y a de vie propre (vie naturelle) dans cette vie de sensations prétendument "spirituelle" ! Que le Seigneur nous montre, quand notre vie déborde de joyeuse sensation, que c'est encore le moi qui est au centre ! C'est l'amour du plaisir, pas autre chose ! Le caractère réel ou illusoire de la vie spirituelle peut être jugé par la manière dont nous traitons le moi...
Extrait de L'homme spirituel de Watchman Nee