L'onction à Béthanie (Jean 12:1-8)

Marie de Béthanie apparaît dans l'Évangile comme une femme extraordinairement intuitive - et sans doute beaucoup de ses amis la jugeaient-ils, à certaines heures, étrange et imprévisible.

Les jours de presse à la cuisine, on la trouvait assise aux pieds du Seigneur - et ce jour-là, six jours avant la Pâque, alors que tous fêtaient Lazare revenu de la mort, Marie a été la seule à deviner ce que Jésus avait dans le coeur. Son frère reprenait goût à la vie - mais Jésus, lui, allait goûter la mort.

Marie ne faisait pas exprès de réagir autrement que les autres - elle ne cherchait pas à se singulariser. Simplement, c'était une femme qui, en chaque occasion, rejoignait l'essentiel, et posait les gestes que son coeur lui dictait - non pour braver les autres ou leur faire des reproches, mais par une sorte de nécessité intérieure, qui était la force même de son amour.

Et ses choix, les choix de son amour, lui attiraient des reproches, qui auraient pu la paralyser. Un jour Marthe lui avait dit: "Tu me laisses travailler seule!". Plus exactement, elle chargeait Jésus de le lui dire. Et ce jour-là aussi, six jours avant la Pâque, que n'a-t-elle pas entendu: "Regardez-moi ce gaspillage! Il fallait faire des sous avec ce parfum, au lieu de le gâcher ainsi! Et les pauvres, y a-t-elle seulement pensé? Et d'ailleurs, où se croit-elle? Qu'est-ce que cette comédie? Veut-elle accaparer le Seigneur pour elle toute seule? Et de toute façon, ce ne sont pas des choses à faire!"

Jésus, lui, a toujours pris la défense de Marie de Béthanie, car il voyait en elle, non pas une paresseuse ou une excentrique, mais une femme capable de tous les courages pour suivre jusqu'au bout les certitudes de son coeur, une croyante prompte à s'oublier pour entrer dans les désirs de son Seigneur et dans le mystère du plan de Dieu. Jésus allait vers la mort, et tous ces gens ne pensaient qu'à la fête! Gentiment, amicalement, certes, mais ils passaient à côté de l'essentiel. Marie a voulu dire à Jésus ce qu'elle entrevoyait, ce qu'elle pressentait du mystère de Dieu qui traversait sa vie de prophète - mais comme ces choses-là sont au-delà de toute parole, Marie les a dites avec son parfum et ses cheveux, avec son gaspillage définitif, avec son geste démesuré et un peu fou, qui la rendait si heureuse.

"Laisse-la", dit Jésus à Judas: elle a gardé ce parfum pour ma sépulture.

"Laisse-la": elle a su entrer, par amour, dans le mystère de ma mort .

"Laisse-la": c'est un geste qui la dépasse elle-même. Déjà toute la maison est remplie de son parfum, et partout où sera proclamé cet évangile, dans le monde entier, on racontera aussi, en souvenir d'elle, ce qu'elle a fait (Mt 26,13 - Mc 14,9).

Ce qu'elle a fait lui a semblé tout simple - et c'était ce jour-là "l'unique chose nécessaire". Elle a fait ce jour-là ce qu'elle essayait de faire à chaque rencontre: ne pas manquer le moment de Jésus.

(Jean Lévêque)

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